vendredi 31 mai 2013

A ceux qui sont petits

Est-ce ma faute à moi si vous n'êtes pas grands ? 
Vous aimez les hiboux, les fouines, les tyrans, 
Le mistral, le simoun, l'écueil, la lune rousse ; 
Vous êtes Myrmidon que son néant courrouce ; 
Hélas ! l'envie en vous creuse son puits sans fond, 
Et je vous plains. Le plomb de votre style fond 
Et coule sur les noms que dore un peu de gloire, 
Et, tout en répandant sa triste lave noire, 
Tâche d'être cuisant et ne peut qu'être lourd. 
Tortueux, vous rampez après tout ce qui court ; 
Votre oeil furieux suit les grands aigles véloces. 
Vous reprochez leur taille et leur ombre aux colosses ; 
On dit de vous : - Pygmée essaya, mais ne put.-
Qui haïra Chéops si ce n'est Lilliput ? 
Le Parthénon vous blesse avec ses fiers pilastres ; 
Vous êtes malheureux de la beauté des astres ; 
Vous trouvez l'océan trop clair, trop noir, trop bleu ; 
Vous détestez le ciel parce qu'il montre Dieu ; 
Vous êtes mécontents que tout soit quelque chose ;
Hélas, vous n'êtes rien. Vous souffrez de la rose, 
Du cygne, du printemps pas assez pluvieux. 
Et ce qui rit vous mord. Vous êtes envieux 
De voir voler la mouche et de voir le ver luire. 
Dans votre jalousie acharnée à détruire 
Vous comprenez quiconque aime, quiconque a foi, 
Et même vous avez de la place pour moi ! 
Un brin d'herbe vous fait grincer s'il vous dépasse ; 
Vous avez pour le monde auguste, pour l'espace, 
Pour tout ce qu'on voit croître, éclairer, réchauffer, 
L'infâme embrassement qui voudrait étouffer. 
Vous avez juste autant de pitié que le glaive. 
En regardant un champ vous maudissez la sève ; 
L'arbre vous plaît à l'heure où la hache le fend ; 
Vous avez quelque chose en vous qui vous défend 
D'être bons, et la rage est votre rêverie. 
Votre âme a froid par où la nôtre est attendrie ; 
Vous avez la nausée où nous sentons l'aimant ; 
Vous êtes monstrueux tout naturellement. 
Vous grondez quand l'oiseau chante sous les grands ormes. 
Quand la fleur, près de vous qui vous sentez difformes, 
Est belle, vous croyez qu'elle le fait exprès. 
Quel souffle vous auriez si l'étoile était près !
Vous croyez qu'en brillant la lumière vous blâme ; 
Vous vous imaginez, en voyant une femme, 
Que c'est pour vous narguer qu'elle prend un amant, 
Et que le mois de mai vous verse méchamment 
Son urne de rayons et d'encens sur la tête ; 
Il vous semble qu'alors que les bois sont en fête, 
Que l'herbe est embaumée et que les prés sont doux, 
Heureux, frais, parfumés, charmants, c'est contre vous.
Vous criez : au secours ! quand le soleil se lève. 
Vous exécrez sans but, sans choix, sans fin, sans trêve,
Sans effort, par instinct, pour mentir, pour trahir ; 
Ce n'est pas un travail pour vous de tout haïr, 
Fourmis, vous abhorrez l'immensité sans peine. 
C'est votre joie impie, âcre, cynique, obscène. 
Et vous souffrez. Car rien, hélas, n'est châtié 
Autant que l'avorton, géant d'inimitié !
Si l’œil pouvait plonger sous la voûte chétive 
De votre crâne étroit qu'un instinct vil captive, 
On y verrait l'énorme horizon de la nuit ; 
Vous êtes ce qui bave, ignore, insulte et nuit ; 
La montagne du mal est dans votre âme naine.

Plus le cœur est petit, plus il y tient de haine.



Victor Hugo (1802-1885)
Extrait du recueil : toute la lyre
Texte proposé par : Louis Eprié

jeudi 30 mai 2013

Cabaret Poètes de brousse - Poésie noire, poésie blanche



Cabaret du printemps avec Mutante Thérèse et les poètes :

Simon Boulerice
Lula Carballo
Shawn Cotton
Véronique Cyr
François Guerrette
Catherine Harton
Simon-Pier Labelle-Hogue
Arnaud Savoye
Erika Soucy

Vendredi 31 mai 2013
A partir de 21h30
Au lieu dit : Quai des brumes 4481 rue saint-denis, Montréal H2J 2L2

Dédicace Franck Bouysse




  • Librairie Page et Plume
  • Notre ami Franck Bouysse vous donne rendez-vous à la librairie le 7 juin à partir de 18h pour la dédicace de son dernier roman "Vagabond" publié aux éditions Ecorce. Du noir, une écriture acérée, du talent... voici ce qui vous attend! Et de la bonne humeur bien sûr, mais ça vous le savez déjà !


     
    Par Aurélie Janssens

mardi 28 mai 2013

L'ultime secret de Frida K. de Gregorio Leon



Etrange !
Un polar réellement culturel qui parle des "amours interdites" entre Frida Kahlo, cette peintre mexicaine géniale et.. Trotski !
Et comment le "Parti" voulut exploiter ce faux-pas libertin du "déviationniste " !
Une peinture disparue, faite par Frida pour Trotski, est la pièce maîtresse de cet ouvrage. 
Et autour, la folie mexicaine : Flics fatigués, journalistes plus ou moins honnêtes, mafiosi, justice un peu (?) pourrie,politiques ... et détective privée coincée par ces réalités...
Mais et aussi, une magnifique étude d'une église étonnante et qui "marche" au Mexique : Le culte de : "La Santa Muerte" (la Sainte Mort) dite "Niña Blanca"(petite fille blanche" ou "La Flaca" (la maigre): un squelette revêtu d'une tunique, représentant le doigt vengeur de Dieu...et supposé accorder à chacun de ses fidèles, une amour et une aide inconditionnelles !
Bref, une folie collective dans laquelle on a du mal (enfin moi) à se retrouver. 
Donc, on oublie le polar et on recherche l' Histoire picturale et événementielle et on s'y retrouve et c'est du bonheur !
Je mets 4 étoiles pour l'intérêt littéraire, artistique et historique de cet ouvrage hors norme.




DE GOUGE
Depuis que je sais lire (et ça date) l'écrit est une addiction : romans divers, biographies, livres à thème (par exemple : la pudeur à travers les siècles ou la femme au XIXème...) et l' Histoire. Le livre est sensuel, odorant et une porte ouverte à l'infini ! Lire, c'est ma survie !
critiqueslibres.com

Un notaire peu ordinaire


Photo © Hélène Bamberger
Yves Ravey,
né en 1953, est l’auteur
d’une vingtaine de romans et pièces de théâtre.



Un notaire peu ordinaire
Dans un bourg de province classique avec son église, son café, sa place, sa gendarmerie, sa mairie, son collège, son lycée, sa maison de retraite, un endroit tranquille fleurant encore le XIXe siècle, vit Martha. Depuis son veuvage, elle travaille comme agent d'entretien au collège puis aux cuisines du lycée professionnel, grâce à l'intervention du notaire, notable local, conseiller municipal et président de la société de chasse que le défunt mari fréquentait. C'est une femme courageuse qui élève seule ses deux enfants. Elle parcourt en vélomoteur les routes de la petite ville pour effectuer ses tâches successives, aller près du cimetière cultiver le jardinet de l'ex-belle-mère pourvoyeur de fruits et de légumes, s'en retourner chez elle s'occuper de sa petite famille. Les enfants sont maintenant grands. Le fils, veilleur de nuit dans une station-service pendant les vacances, a obtenu une bourse pour entrer à l'université à la rentrée prochaine. La fille, Clémence, est une adolescente insouciante et toute en revendication, plus préoccupée de ses premières amours avec Paul (le fils du fameux notaire) et de sorties entre amis le soir, que du bac français qu'elle doit préparer. La jeune fille emporte tout de même partout avec elle (par bonne conscience ou par intérêt réel, on ne saura pas trop) un classique inscrit au programme, perroquet au plumage multicolore en couverture et pages écornées en prime, qui trouvera sa place plus tard dans l'intrigue.
La mère, qui ne vit que pour les siens, sait à la fois être vigilante et entretenir une atmosphère chaleureuse et équilibrée dans son foyer.

C'est alors que Freddy, un cousin que les enfants n'ont jamais connu qu'en photo dans l'album de famille, débarque. Avec ses tatouages sur les bras et son vieux chien. Le moins qu'on puisse dire, c'est que l'accueil de Martha est glacial. Elle chasse immédiatement le visiteur, faisant promettre à son fils de ne pas lui adresser la parole et à sa fille de ne même pas l'approcher. Il faut dire que l'homme, "un simple d'esprit tout juste capable d'écrire", autrefois ouvrier dans l'entreprise de serrurerie du père, vient de sortir de la prison où il était incarcéré pour le viol d'une enfant, une copine de classe de Clémence. Un fait divers qui avait chamboulé toute la population locale, une quinzaine d'années plus tôt.
Affolée, la mère se rend directement à la gendarmerie pour signaler que l'ex-détenu rôde autour de chez elle et qu'elle a peur pour sa fille Clémence. A-t-il vraiment le droit de revenir vivre ici ? Et s'il récidivait ?
L'éducateur a beau lui expliquer que l'homme a purgé sa peine et a été libéré pour bonne conduite, qu'il est encore sous surveillance, elle reste inquiète. Et quand on lui explique qu'elle est sa seule famille et en est donc responsable, qu'il ne peut pas trouver du travail et se réinsérer s'il n'a pas de logement, elle se fâche. Elle ne veut absolument pas le voir dans les parages, même pas dans la cabane au fond du jardin. Qu'ils cessent tous de la culpabiliser, prennent le paquet de chemises de son mari qu'elle a préparé pour lui et l'expédient au bout du monde.
Raté ! Freddy sera finalement hébergé derrière le stade, dans un vestiaire désaffecté et l'éducateur évoque même une possibilité d'emploi à la maison de retraite, située juste en face de la maison de Martha...
Martha enrage, tremble et n'en dort plus. "Il n'y aura pas de sécurité pour Clémence tant que cet homme sera en vie" se dit-elle en permanence. Il faut dire que la présence régulière de Freddy au Jolly Café, en face du lycée, à regarder s'égayer les adolescentes, n'est pas faite pour la rassurer. Les journées passées à la pêche en compagnie de son chien, près du barrage, non plus. Clémence, ne va-t-elle pas parfois s'y étendre à moitié nue pour y bronzer ?
Elle s'angoisse tant pour sa progéniture qu'elle va demander aide, conseil et soutien à Maître Montussaint, cet homme si courtois qui l'a déjà aidée par le passé, celui qui se trouve être le père de l'amoureux de Clémence, et prend si souvent le soin de la ramener lui-même le soir, dans sa belle décapotable rouge.
C'est alors qu'un soir tout bascule : l'adolescente censée être à une soirée de fête avec ses amis chez son amoureux, a disparu...
L'histoire nous est rapportée par le frère de Clémence, un personnage en marge de l'action, qui, dans un style indirect livre son récit comme une déposition au commissariat. Ce n'est jamais de lui, dont nous ne saurons que peu de chose, qu'il parle mais des protagonistes-clés que sont sa mère, Clémence, Freddy et le notaire. Mais il est aisé, derrière la description des mouvements, des attitudes et des faits qu'il relate, de deviner les sentiments de chacun, de sentir la rancœur et la suspicion tapies derrière l'angoisse, de pressentir les secrets enfouis dans les mémoires, de douter de l'évidence qui semble s'imposer.
L'auteur privilégie à l'investigation psychologique l'ancrage social et quasi matérialiste. Rancœurs de classe et de famille, réinsertion des ex-détenus, délinquance sexuelle ou conditions d'hébergement des immigrés travaillant à l'agrandissement du tunnel ferroviaire parqués dans des wagons transformés en dortoirs, viennent parasiter la quiétude apparente, avec en filigrane le rapport dominant/dominé dans lequel tout cela s'inscrit.
Le cadre, cette petite ville de province repliée sur elle-même, confite dans son isolement où valeurs, préjugés et poids des notables semblent immuables comme dans les films de Claude Chabrol, est un élément essentiel qui installe le récit pour mieux faire monter la tension, progressivement. Les questions s'accumulent, le malaise s'installe et la conscience d'un obscur danger qui pourrait mettre à bas les tranquilles certitudes et faire tout déraper finit par s'imposer. L'engrenage infernal s'est mis en place, une violence larvée mine les relations inter-individuelles, et rien ne pourra dès lors stopper le compte à rebours avant l'explosion.
C'est ici la singularité de ce livre, positionné en équilibre entre roman de mœurs et roman policier.
Tout est fait pour aller droit à l'essentiel avec, sous couvert d'une simplicité immédiate mais trompeuse, une imparable efficacité : un style sobre, des dialogues qui se fondent dans le récit, un jeu subtil de l'ellipse, un rythme nerveux, une construction implacable, une densité qui prépare magistralement l'implosion.
En une centaine de pages, Yves Ravey, avec une unité de temps et de lieu assez classique, une remarquable concentration de l'action, jouant sur les vides, les hors-champ, les suggestions feutrées à peine perceptibles et les détails faussement anodins, installant un climat en demi-teintes fait pour distiller le doute et l'angoisse, dévoile son vrai sujet : la dualité entre apparence et vérité.
Un faux roman noir et un vrai roman social, ou l'inverse, peu importe, qui sollicite sans faiblir la curiosité du lecteur, pour un plaisir sans partage.


Dominique Baillon-Lalande 
encres-vagabondes.com

vendredi 24 mai 2013

Yeux de pluie



photo:doctissimo.fr


Y’a comme des brisures de verre
Dans ton regard anthracite,
L’ami Pierrot y pisse sa misère,
Son chant de larmes qu’il récite
A noyé la dernière flamme
Qui valsait au fond de tes yeux,
Celle qui gardait vivante ton âme
Vient de mourir dans les Cieux.
Tu es devenu plus triste que la pluie
Qui dégouline sur Amsterdam
Les rues accueillent tes pas sans vie
Et le moulin ne tourne plus.
C’était l’amour dans tes veines, ta came,
La poudre à tes yeux éperdus.
Elle a changé la couleur de ses lentilles
Ta belle qui ne te regarde plus
Et sa peau laiteuse qui t’as fuit
Laisse ton corps orphelin.
Dans ta maison vide de sa danse
Tu fais entrer des catins
Pour oublier que ça te lance
Dans ton cœur sans lendemain.



Aurélie Lemoine
Aurelie Lemoine

Aurélie Lemoine est comme beaucoup, une jeune femme amoureuse des mots. Elle écrit quelques textes à tendance poétique à ses moments de loisirs. Elle a eu l’honneur de paraître dans trois recueils collectifs sous l’initiative d’Eliane Bianchi Weitmann (La plume d’Argent, La plume d’Airain et La plume de Pourpre) et dans le recueil collectif Nostalgie chez Sokrys Editions.


L'Escale des lettres avec Muriel Diallo en 2013


RÉSIDENCE ET FÊTE INTERNATIONALE DU LIVRE À BÉTHUNE

DIALLO-MURIEL-ALBIN-1-250pxMuriel Diallo est l'invitée de la 3e édition des “Lettres nomades” à Béthune, pour une résidence d'écriture qui se déroulera du 13 mai au 31 mai 2013.  Puis, vous pourrez la retrouver le samedi 1er et le dimanche 2 juin à la Fête internationale du livre de Béthune.


Rencontres littéraires lors de la résidence d'écriture 

• le lundi 13 mai à 19 h, le mercredi 15 mai à 14 h et le vendredi 17 mai à 19 h. • le mardi 14 mai à 19 h à la médiathèque de Richebourg. 

La Fête internationale du livre de Béthune

• le samedi 1er juin : 
— de 15 h à 16 h pour “l'Heure du conte” (à partir de 3 ans).
— à 16 h 30 pour les lectures “ À voix hautes” avec Muriel Diallo, Abdelkader Djemaï, Makenzy Orcel. 
— de 17 h à 18 h : signature au Furet du Nord, librairie partenaire de l'événement.
• le dimanche 2 juin :
— de 14 h à 15 h : signature au Furet du Nord, librairie partenaire de l'événement.
— de 15 h à 16 h pour “l'Heure du conte” (à partir de 3 ans).
— à 17 h pour le Café littéraire “Portraits de vie” avec Muriel Diallo, Abdelkader Djemaï, Dominique Fabre.
ventsdailleurs.fr

Anne Bihan à Brest !


ATELIER D'ÉCRITURE ET RENCONTRE AVEC ANNE BIHAN

BIHANBrunoDouceyLe 24 mai, Anne Bihan est l'invitée de la Librairie-café des voyageurs à Brest, à l'occasion de la réouverture du lieu et du retour de l'auteure de sa résidence d'écriture à Ouessant. 
Le matin, la librairie ouvre ses portes et vous invite à rencontrer Anne Bihan, puis en début d'après-midi est organisé un atelier d'écriture avec l'auteure. La journée se terminera par un petit pot d'amitié, offert à partir de 18 h.
Venez nombreux !
Lieu : Librairie-café des voyageurs 14 rue Boussingault - 29200 Brest
Contact : Tél. 02 98 43 69 84

jeudi 23 mai 2013

Les aventuriers de l'absolu – Tsvetan Todorov




RILKE ou l'impossible choix entre l'art ou la vie

« Si l'artiste en général et Rilke en particulier doit préférer le bras « création » du fleuve à son bras « vie » c'est aussi que les autres hommes sont essentiellement source d'agressions alors que le travail sur l'oeuvre permet, croit-il, de s'élever dans la sphère du divin.c 'est pourquoi l'exigence de la solitude ne doit pas être entendue seulement dans le sens banal du silence et de la tranquillité nécessaires à chaque créateur mais dans un sens plus profond, celui du renoncement aux joies et aux soucis des hommes »
... »Pourquoi est-il légitime de préférer une vie consacrée à l'art à une vie humaine ordinaire ? ». Rilke part à nouveau de Baudelaire.
Pour Rilke la condition de la création artistique est l'amour de la vie dans son intégralité du beau comme du laid du vil comme du bon.
Mais pour Rilke la solitude permet la concentration, qualité première de l'oeuvre d'art et aide à éviter la dispersion, l'agitation, le bavardage. Pour travailler Rilke a besoin de « rompre tous contacts avec autrui qui usent mes forces et mon attention ». Les créateurs ne se distinguent des autres mortels que parce qu'ils sont « les plus solitaires des solitaires ».
Pour Rilke l'amour et la solitude ne sont pas incompatibles (il a consacré beaucoup de temps à l'amour) mais il faut en dépasser la conception courante de l'amour.
Car l'attachement à un objet d'amour est privation de liberté, imposition des limites, la vie à deux, rabaissement. »
« N'oubliez jamais que je suis à la solitude, que je ne dois avoir besoin de personne, que même toute ma force nait de ce détachement »  (lettre de Rilke à Mimi Romanelli)
Pourtant la solitude ne lui est pas bénéfique. Indispensable à la création elle ne suffit pas à la provoquer. Rilke sera condamné à alterner attentes de l'inspiration et espoirs de communion.

Tel Don Juan Rilke éprouve le besoin d'être aimé par une femme mais dès qu'il est assuré de son affection, il la fuit. Rilke a besoin d'une attention féminine mais tout autant, de la possibilité de lui échapper. Rencontrer une femme, la séduire, l'aimer, lui est facile, rester avec elle, impossible. Ses relations amoureuses sont frappées de malédiction. Il en éprouve la nécessité mais dès qu'elles sont engagées il n'a qu'une hâte : partir au loin.

Quand il s'est marié, il voulait que cette union ne soit pas incompatible avec la solitude nécessaire au processus de création. A peine marié,il écrit à un ami : « l'un doit être le gardien de la solitude de l'autre. Clara est sculpteur mais... ils finiront par s'éloigner et vivre chacun dans son appartement.

« L'expérience artistique figure en effet si incroyablement près de l'expérience sexuelle de sa souffrance et de son plaisir, écrit-il à F.X Kappus, que les deux phénomènes ne sont à proprement parler que des formes différentes d'un seul et même désir, d'une seule et même félicité. »

Et il culpabilise de ce qu'il n'est pas assez présent à sa femme et à sa fille même quand on ne lui fait pas reproches ; la culpabilité le rend agressif envers elles car cette pensée l'empêche de travailler. Il voudrait se réfugier dans la création, échapper aux soucis quotidiens qu'engendrent ses obligations de père et mari.
« J'aimerais me retirer d'une manière ou d'une autre plus profondément en moi dans ce cloître en moi ou pendent les grandes cloches »...
J'aimerais oublier tout le monde, ma femme, mon enfant.
Non seulement cette relation à une femme ne l'a pas renforcé mais elle l'empêche d'avoir le sentiment de sa propre existence d'atteindre l'objectif auquel il aspire « être quelqu'un de réel, parmi les choses réelles »
Rilke ne trouve pas la joie dans les relations humaines mais pas davantage dans le travail, qui du reste, lui apparaît plus comme un destin funeste que comme un programme volontairement choisi. Contrairement à ce que lui promettait Rodin il ne lui suffit pas de travailler pou être heureux.


Benvenuta, une œuvre du cœur.
Le don et en même temps la vocation du poète c'est l'Einsehen, comprendre le monde, le « voir au dedans » jusque dans ses manifestations les plus humbles.
Réussir une telle immersion dans le monde et en garder une trace verbale c'est pour Rilke ce qu'il appelle « ma terrestre béatitude ».
Il se souvient encore de l'image de St Julien se couchant auprès des lépreux : être poète c'est être capable de se donner tout entier au monde et donc de convertir la laideur et la détresse en beauté, une beauté sans contraire ».
Or, si l'on aime déjà quelqu'un, se disait-il on ne peut se donner entièrement au monde que l'on perçoit.
Celui qui aime un individu ne peut plus se confondre avec le monde, pratiquer cette connaissance qui préside à la naissance de la véritable poésie car il ne se possède plus lui même tout entier ; or cette pratique exige le don intégral.
« Le chemin de l'intériorité à la grandeur passe par le sacrifice ». Rudolf Kassner.
Nombreux sont ceux qui possèdent l'intériorité (dont Rilke). Mais pour atteindre à la véritable grandeur poétique un sacrifice est demandé, celui de la vie.
Rilke a donc choisi, dira-t-il à Benvenuta, l'art (le travail) au détriment de la vie (l'amour). Ce n'était pas pour autant un engagement dans la voie de la sainteté, et de l'ascèse même si celle-ci l'avait tenté.
Contradiction tragique : il doit sacrifier la vie à l'art et c'est pourtant avec de la vie qu'il fait son art. Il n edoit donc ni se donner à la vie ni s'en détourner.
Pourtant avec Benvenuta il voudra l'inverse. Rilke l'aime certes mais cet amour le prive de son être véritable car il ne peut plus travailler. Si les deux vivaient ensemble, l'art en pâtirait. A la place des œuvres sublimes, il n'y aurait qu'un amour humain.
La femme idéale dont Rilke a besoin:une personne qui sait donner sans rien demander en retour. Mais c'est alors Benvenuta qui, incapable d'imaginer Rilke en homme ordinaire, mettra un terme : « J'ai une peur indicible de voir s'humaniser le sentiment profond et exclusif que j'ai pour lui, de le voir baigner dans le quotidien et le terrestre. »
Au moment même où Rilke décide de s'humaniser, qu'il ne se reniera pas s'il aime une femme et s'installe dans le quotidien, celle-ci inversant le geste d'Heloïse et Abelard, embrasse l'image de lui dont il veut se débarrasser et la lui renvoie comme son destin inéluctable: elle ne lui permettra pas de descendre de son piédestal parmi les simples mortels.
Benvenuta est la perfection, mais on ne peut dans cette vie, vivre avec une perfection, l'épouser à l'église, l'aimer au jour le jour.
Rilke transforme cette femme en absolu, il la sacralise, lui attribue la même place qu'à son art, celle d'un Dieu inaccessible du coup, art et amour sont incompatibles.

Le destin de Rilke n'est donc pas la solitude mais plutôt la tentative – malheureuse- de la fuir, le besoin contradictoire et par là, tragique, de rechercher, et en même temps de craindre l'amour. ?

Le dernier grand amour de Rilke (comment aurait-il pu en être autrement?) pou Elisabeth Klossowiko dite Baladine ou Merline l'occupera tout l'hiver 1920, un hiver qui sera stérile car au lieu d'écrire Rilke s'est livré à sa passion pour une femme.
Dans Le Testament, il cherchera à comprendre la nature des conflits dans lequel il est pris, à défendre le choix qui est le sien, et à formuler son idéal d'avoir mis au service de la création. Qu'est- ce que la peine ? Qu'est que l'art ? C'est une ouverture à la totalité du réel c'est la capacité de découvrir la beauté de l'existence dans chacune de ses parcelles.
L'artiste est celui qui adresse un « oui » libre au monde qui vit « la passion de la totalité « mais pour y parvenir l'artiste a besoin de tout son amour.
Le choix se situe entre le monde illimité incluant tous les êtres humains et l'amour pour une personne particulière, en fin de compte égoïste et petit.
Dans cette personne unique que le hasard a placé sur notre chemin l'on fait un obstacle entre soi et le monde.
« Ainsi l'ouverture de l'amour apparaît-elle comme une forme secondaire stérile, dégénérée en quelque sorte, de l'expérience créatrice, comme son rabaissement.
Quand Merline tombe malade, Rainer souffre pour elle, et par elle, pense à elle, au lieu d'écrire des vers. Elle s'est emparée de lui et a détourné le cours de sa vie. Loin d'opter sereinement pour la poursuite de son œuvre Rilke se voit déchiré entre deux pôles d'attraction d'intensité comparable.

« Nous ne sommes pas faits pour avoir deux vies. « 
Ce sont la deux exigences contradictoires. Véritable impasse dans laquelle Rilke s'est enfermé lui mêem : pou être poète, de la manière dont il le souhaite, la vie lui est à la fois indispensable et impossible. Pourtant chacune de ces exigences correspond à une vérité de son être, le conflit est insoluble.
Rilke veut trouver une femme qu'il aimerait comme on aime Dieu et ne la trouve pas. Que faire . Sortie par le haut impossible ou par l'autre extrémité comme le faisait Rodin, qu'il rencontre une femme qui accepterait de « vivre pour lui sans penser à sa propre petite vie à elle, stupide probablement et sans importance aucune ».

Le mal d'aimer

Le mal de vivre de Rilke peut lui être propre. Pourquoi, se demande Rilke avec insistance, ma vie est-elle une telle torture, pourquoi ne puis-je échapper à l'angoisse, ni à la dépression, ni même à de constantes souffrances physiques ? Au début il ne peut s'empêcher de chercher des raisons extérieures : j'ai trop travaillé, ou été trop dérangé, ou sa mère risquait de lui rendre visite ou le climat de ce lui ne lui convenait pas. Paris, la grande ville, l'agresse. Les sensations qu'il reçoit ne se laissent pas domine, elles le transpercent et le brûlent.
Lorsque Rilke cherche une cause plus générale à son incapacité de vire heureux il se tourne vers l'histoire de son enfance, en particulier sa relation à sa mère.
Alors qu'il souffre terriblement, Lou Andréas Salomé alors psychanalyste et qui a été sa maitresse, partage le même point de vue que Benvenuta : Rilke doit chercher la beauté non le bonheur, mieux vaut qu'il soit homme malheureux et poète génial, qu'heureux et médiocre.
La névrose selon elle est signe probable de valeur artistique, signe que « quelqu'un a voulu aller jusqu'au bout de soi même ».
Rodin, s'étonne Rilke, continue de vivre comme les autres hommes. La vie nourrit l'oeuvre mais l'oeuvre n'aide pas à élever la vie, c'est une relation à sens unique, telle est l'amère leçon que tire Rilke de l'exemple de Rodin.
Rilke considère son destin de poète non plus comme un accomplissement de la vie mais comme son sacrifice. Par là, l'activité créatrice s'apparente encore plus étroitement à la vocation religieuse. Non seulement les deux sont des voies vers l'absolu mais elles exigent aussi la même abnégation. Pour atteindre le divin, l'artiste doit renoncer à l'humain et accepter sa croix.
L'absolu auquel aspire Rilke ne doit pas être recherché dans un ailleurs parmi nous. La transcendance habite notre terre mais n'est accessible qu'aux plus exigeants.

Marie-Josée Desvignes

jeudi 16 mai 2013

Il pleure dans mon coeur

Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?

Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s'ennuie
Ô le chant de la pluie !

Il pleure sans raison
Dans ce coeur qui écœure.
Quoi ! nulle trahison ?...
Ce deuil est sans raison.

C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine!

Paul.Verlaine(1844-1896) 


Texte proposé par Juan alberto

dimanche 12 mai 2013

Livre numérique : comment tourner la page ?

 © Olivier Metzger pour Télérama
© Olivier Metzger 

Voilà des années qu'on le dit : c'est imminent, le livre numérique va conquérir les Français, convaincre de nouveaux lecteurs et – pourquoi pas ? – avoir la peau du vénéré livre imprimé. Plus de cinq ans après son lancement aux Etats-Unis, en 2007 – où il représente 22 % du marché total du livre –, l'e-book n'en occupe encore chez nous que moins de 1 %. Même s'il n'est plus un mirage, même si cette année 15 % des Français de plus de 15 ans déclarent en avoir déjà lu au moins un, l'invasion annoncée n'a pas eu lieu.

Dans notre pays très attaché à l'objet livre – on a tout écrit sur sa beauté, son odeur, ses pages sensuelles –, l'e-book est arrivé timidement en 2008 avec les premières liseuses, puis le lancement des tablettes, dès 2010, avec l'iPad. Mais, pour Bernard Strainchamps, libraire chez Feedbooks, société d'édition 100 % numérique fondée en 2007, « il est encore mal vu par l'élite intellectuelle, comme Internet à ses débuts : une sorte de symbole des grands méchants (Amazon) et du peuple qui s'exprime sur des forums, comme si c'était une boue sans valeur. »
Au Salon du livre 2013, pourtant, l'e-book était partout. Grand ramdam autour de l'accord signé, après trois ans d'âpres négociations, entre auteurs et éditeurs sur la cession des droits numériques. Liseuses Sony ou Kobo en promotion, iPad disposés dans tous les rayons pour montrer leurs fonctionnalités – lire une BD interactive, suivre une recette de cuisine, consulter un guide de voyage. Et jeunes sociétés d'édition exclusivement web devant leurs stands. Vincent Daubry, cofondateur de Youboox (un an d'âge), distribue ses cartes de visite : « A la manière des sites d'écoute musicale comme Spotify ou Deezer, nous proposons environ 6 000 titres : gratuitement moyennant de la publicité, ou avec un abonnement à 9,99 € par mois, sans pub. Nous avons déjà des partenariats avec 60 éditeurs et pas loin de 100 000 utilisateurs », se réjouit-il.
Les signaux semblent encourageants, confirme Julien Goarant, responsable du baromètre du livre numérique de la société d'études OpinionWay : « En un an, le nombre d'e-lecteurs a triplé, même si le processus est lent, car le milieu redoute le carnage observé dans le monde de la musique ; ça a refroidi les ardeurs. » En attendant qu'elles s'embrasent peut-être, quelques questions pour comprendre pourquoi on attend toujours la vraie révolution numérique.

Pourquoi les livres numérisés sont-ils encore si chers ?

Aux Etats-Unis, le livre numérique s'est lancé avec des prix cassés, en particulier parce que Amazon a vendu à perte, jusqu'à s'octroyer un monopole. Une politique impossible en France grâce à la loi sur le prix unique du livre, fixé par l'éditeur. Amazon ou Apple n'ont donc pas pu effectuer de razzia sur le marché. Mais le prix, élevé, reste un frein à l'envol des ventes, d'autant que les politiques tarifaires des éditeurs sont parfois nébuleuses.
Tentons de schématiser : en moyenne, un livre à sa sortie coûte 20 à 25 € en version brochée ; et un tiers moins cher en numérique (autour de 15 €). Une grosse année plus tard, arrive l'édition de poche, à environ 8 €. Là, certains éditeurs (Hachette, Gallimard, Albin Michel...) alignent le prix de l'e-book. Mais d'autres le maintiennent, et l'e-book coûte deux fois plus cher que le poche : pas forcément le meilleur argument pour mettre le premier doigt dans l'e-lecture...
Bien sûr, il s'agit de protéger le marché du livre de poche, qui pèse lourd en France. Raphaël Couderc, de l'institut d'études GfK, observe : « En musique, on a bien vu qu'un morceau à 0,99 € se vend, certes, mais perd de sa valeur symbolique. Les éditeurs veulent éviter ce phénomène. »
Même si certains éditeurs commencent à tester des offres commerciales – une semaine de promotion sur la version numérique de tel ouvrage, par exemple –, le lecteur ne s'y retrouve pas encore. « Il est rationnel, il sait très bien qu'on ne paie pas de papier, pas de frais de stocks ni de retours, donc s'il achète un e-book, il veut le payer nettement moins cher qu'une version imprimée », remarque Marie-Pierre Sangouard, ex-patronne du livre à la Fnac, aujourd'hui directrice des contenus Kindle chez Amazon. Sinon, il se déculpabilise d'aller, comme en musique, visiter des sites de téléchargement illégal, très bien référencés par Google...

Les outils pour lire en numérique sont-ils les bons ?

Liseuse, tablette, smartphone : bientôt, tout le monde ou presque aura au moins un instrument lui permettant de lire en numérique. Les liseuses, petits outils simples et peu chers – on en trouve désormais à moins de 100 euros –, se sont vendues à 300 000 exemplaires en 2012, on en vendra autour de 500 000 cette année. Leur atout : légères, économes en énergie, elles se glissent dans une poche ou un sac à main. « Et, contrairement à une tablette, personne ne vous la piquera dans le métro », ajoute Marie-Pierre Sangouard, qui mise tout sur cet outil qu'elle juge « idéal ». Leur inconvénient, majeur : elles ne servent qu'à lire. Elles séduisent donc de gros lecteurs – mais on sait bien que cette population ne prolifère guère. Aux Etats-Unis, les liseuses sont ainsi restées un marché de niche et ont vite été supplantées, même pour la lecture, par les tablettes. Les chiffres français sont implacables : 3,6 millions de tablettes vendues en 2012, plus de 5 millions de ventes attendues en 2013. L'ennui, outre le prix qui reste élevé, c'est que la tablette est familiale : on y joue, on y lit la presse, on l'utilise pour les mails ou Internet. Pas évident de se préserver un usage de lecture, plus individuel.
Un autre obstacle technique demeure : l'incompatibilité, pas encore résolue, entre les modèles des différents acteurs. Si j'ai une Kindle, je dois acheter mes e-books chez Amazon. Si j'ai un iPad, je télécharge sur iTunes ; si j'ai une Kobo, je lis Fnac... Même si les formats commencent à être interopérables, le lecteur peut être vite découragé – voire exaspéré – par cette jungle technologico-commerciale.

Pourquoi y a-t-il toujours si peu d'ouvrages disponibles ?

Selon les sources, 70 000 à 100 000 titres numériques existent aujourd'hui en France. Nouveautés et patrimoine compris. L'objectif, encore lointain : la numérisation des 700 000 titres qui sont achetés au moins une fois par an en version papier. Pour les nouveautés, le pli est pris : elles sortent presque toutes, désormais, simultanément en versions brochée et numérique. Presque ? « Il peut arriver que nous n'ayons pas le temps de contacter l'auteur ou qu'il refuse, indique Eric Marbeau, responsable de la diffusion numérique chez Gallimard. Ce fut le cas de Daniel Pennac, avant d'être convaincu, ou de Milan Kundera, toujours réticent. »Les auteurs ont manifesté « beaucoup d'angoisse », selon Vincent Montagne, patron du Syndicat national des éditeurs, avant d'accepter, dans l'accord de mars, de céder leurs droits numériques pour une durée, comme le papier, de soixante-dix ans après leur mort.
« Sur l'offre, nous, éditeurs, ne sommes pas en retard, se défend Vincent Montagne.Nous occupons massivement le marché et progressons sur des prix cohérents entre e-books et livres de poche, sur des offres couplées du livre papier et de sa version numérique, sur des campagnes promotionnelles. 2012 était déjà l'année de l'avènement du numérique. » Chaque éditeur mène sa propre politique de numérisation, sans grande cohérence, même si l'Etat fournit d'importantes subventions publiques. Gallimard, par exemple, étudie la question depuis 2008, et a déjà numérisé environ 3 000 titres – sur plusieurs dizaines de milliers. « C'est un gros investissement en temps et en fonds, il faut agir en bon père de famille, investir au bon moment pour bénéficier d'économies d'échelle, ne pas se précipiter avant d'avoir un format fiable », précise Eric Marbeau.
L'e-pub, format de texte comparable au MP3 pour les morceaux de musique, semble aujourd'hui communément admis, mais la situation économique floue incite encore les éditeurs à la prudence : chacun numérise son catalogue à son rythme. Cela implique parfois de renégocier les contrats avec les auteurs ou leurs ayants droit ; si l'on ne dispose plus de la version de l'imprimeur, il faut numériser à partir des archives papier... Ce sont des métiers nouveaux, des processus en cours d'acquisition dans des maisons souvent anciennes.

Lire ou ne pas lire sur écran ?

Pour l'instant, l'e-lecture concerne surtout des livres dits « de genre » : polars, science-fiction, littérature érotique achetée la nuit dans le secret de sa connexion internet, romans sentimentaux. Ce sont aussi les éditeurs de ces gammes qui se sont montrés les plus créatifs. Ainsi Bragelonne, éditeur de science-fiction, dont le patron Stéphane Marsan expliquait, au Salon du livre : « Il faut être inventif et travailleur, le numérique n'est pas seulement un nouveau support, c'est une vraie nouvelle édition. Nous devons imaginer de nouvelles pratiques commerciales, des promotions, des diffusions sur les réseaux sociaux... »
Aujourd'hui, l'offre consiste essentiellement en versions numériques de livres écrits pour du papier. Mais, demain, arriveront de nouvelles « créatures », corps de livre et têtes d'écran, enrichies en vidéo, en musique, en possibilités techniques. Chez Gallimard, Eric Marbeau imagine « des fonctionnalités de prises de notes, de recherche dans le texte, utiles pour enseignants ou étudiants par exemple ». Au Salon du livre, de jeunes créatifs ont présenté leurs projets : un ouvrage historique de Max Gallo ponctué d'archives vidéos inédites commentées par l'auteur ; un livre-application sur le périple d'une Française à Tokyo ; un roman interactif bilingue pour apprendre l'anglais ; la visite de L'Enfer de Dante illustré par Botticelli... Raphaël Couderc, de l'institut GfK, précise : « Pour l'instant, on devrait surtout parler de livre numérisé. Le livre numérique, lui, sera un réel nouvel objet. »Complémentaire du livre imprimé, et donc moins menaçant pour lui.

Juliette Bénabent Télérama n° 3302

“La promo 49″ de Don Carpenter: entre teen comedy et tragédies intimes



Dans l’Oregon pluvieux, une génération de lycéens passe à la douche. Un roman lapidaire, entre teen comedy et tragédies intimes.

 Le remarquable roman qui permit l’an dernier à la France de découvrir Don Carpenter, Sale temps pour les braves, s’intitulait en VO Hard Rain Falling. Avec La Promo 49 (publié aux Etats-Unis en 1982), la même pluie continue de s’abattre sur l’Oregon, d’y doucher les enthousiasmes et d’y noyer les illusions : “des gouttes par milliers, par millions, qui tombaient sur les smokings et les robes du soir, tombaient sur des permanentes et des bananes, la pluie de Portland qui tombait sur tout et gâchait tout”. Il faudrait toutefois plus que quelques averses de coups durs pour dompter la vitalité d’une génération de lycéens middle class dont les hantises (acné, impopularité, sexualité corsetée) et les rêves (de gloire cinématographique, de succès littéraire ou de chamboulement politique) nourrissent un entêtant petit livre, où s’esquissent tous les types de personnages qui feront le succès de la teen comedy, du jock tout en biceps à la reine de beauté écervelée ou à l’intello déphasé.

 Portés par la plume désenchantée d’un écrivain qui avait en 1949 l’âge de ses personnages, vingt-quatre vignettes font revivre l’ivresse et les détresses de l’adolescence, la virulence du désir, l’élan des engouements grégaires et la cruauté des échecs secrets, la sécheresse de l’écriture ayant pour effet de souligner la profondeur des solitudes individuelles dont est tissé ce poignant portrait de groupe.

 La Promo 49, Cambourakis, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy, 144 pages, 17,50 €


par Bruno Juffin (lesinrocks.com)

jeudi 9 mai 2013

Le ROMAN du ROMAN ou enfin des réponses à mes lecteurs...et aux curieux... il est temps...



JEU DE DUPES – MARIE DELHESTRE

Pourquoi avoir pris un pseudonyme pour ce livre ?
Pourquoi ce titre ?

Ce sont les deux questions qui viennent aussitôt après avoir refermé Jeu de dupes, et ce sont celles que se sont posé mes lecteurs.
Ce roman est un mille-feuilles. Il a plusieurs niveaux de lecture et plusieurs strates de narration aussi. Il peut être lu par des adolescents ou des lecteurs peu habitués aux jeux littéraires et posent beaucoup de questions (tel a été mon vœu de départ). Il génère un vertige pour mon plus grand plaisir.
Et donc, si on a bien compris les multiples niveaux de lecture de ce roman, les deux questions ci-dessus sont légitimes et elles sont évidemment intimement liées...
Du coup la question qui viendrait tout de suite après serait : « y a-t-il du vécu dans ce livre ? » puisque le narrateur est un écrivain... mais cette question le lecteur est presque gêné de la poser car il doit bien l'admettre, rien n'est possiblement vrai, mais il s'est réellement laissé embarquer dans cette histoire aux frontières du fantastique.


Je vais commencer par la dernière et je terminerai par la première.
La question du vécu est valable pour n'importe quelle œuvre. Dans chaque personnage il y a un peu de l'auteur, car on ne crée pas ex nihilo, on est écrit de toute part, traversé par ce que nous vivons, entendons, lisons... ici cela se vérifie d'autant plus que le narrateur est lui même écrivain. Et donc, il y est question de relations entre un auteur et ses personnages, mais le lecteur se rend vite compte qu'on prend le problème à l'envers dans la mesure où c'est le personnage qui réagit par rapport à son auteur.

Et du coup, notre histoire devient une histoire de domination... (réponse au choix du titre)

Dans ce livre donc, on n'est pas loin de la remise en question de l'image de l'écrivain-dieu-tout-puissant. Le personnage d'Hermann, personnage du personnage, va devoir réagir par rapport à ce que son auteur veut faire de lui. Les tourments auxquels chacun est confronté vont atteindre un paroxysme à la fin, où l'ultime question (quasi psychanalytique) sera celle de « tuer le père » et celle de savoir « qui est le père de l'autre » ou encore « lequel des deux a créé puis « tué » l'autre ? »
Il s'agit bien d'une mise en abîme et d'un récit spéculaire mais surtout d'un moyen de raconter cette toute puissance de l'écriture dans la vie d'un écrivain, lui même créateur et donc porteur d'un pouvoir de vie ou de mort sur ses personnages.
Si je n'avais pas fait du personnage principal un écrivain mais un lecteur lambda par exemple (comme par exemple, Woody Allen dans la Rose pourpre du Caire), j'aurais permis de conserver cette image de l'écrivain-tout-puissant. Mais en choisissant de montrer l'écrivain à l'oeuvre, je l'ai rendu vulnérable. Ce faisant, je désacralisais cette image de « créateur tout puissant ». En montrant mon écrivain, pris dans des questionnements sans fin sur les choix qu'il doit opérer dans la vie de ses personnages, je signale combien il peut être douloureux d'écrire, et comme dans la vie, de faire des choix (et je ne parle pas seulement du choix des mots ici).
J'ai voulu montrer que l'écrivain n'était pas tout puissant (par rapport à ses personnages), mais que l'écriture pouvait aussi dominer sa vie. En tout cas, c'était mon cas. A force de l'idéaliser j'en avais fait une idole, elle était devenue mon « maître », et en refusant de lui accorder toute la place qu'elle méritait, j'allais devoir rendre des comptes pas seulement aux lecteurs qui m'attendaient mais aussi aux personnages... C'est pourquoi tout le monde, auteur, narrateur, personnages et … lecteur s'est retrouvé embarqué dans cette histoire.

Ecrit dans une période de ma vie où l'écriture devenait obsédante mais totalement indépassable -je ne parvenais pas à m'en dégager alors que j'étais aux prises avec des difficultés professionnelles, personnelles, familiales extrêmement douloureuses et compliquées, le roman s'est écrit presque tout seul mais non sans souffrance...

La question que l'on pourra automatiquement me poser alors c'est de savoir si réellement cela m'est déjà arrivé en écrivant.
Je pense sérieusement que si j'avais eu quand j'écris, comme dans ce roman, un personnage qui soit venu me torturer la nuit pour que je le fasse vivre dans la réalité, je me serais retrouvée aux urgences psychiatriques. Non, plus sérieusement, il faut prendre cela au second degré et bien comprendre que ce n'était pas mes personnages qui me torturaient mais bien la question d'écrire ou ne pas écrire.
Cependant, il est certain qu'il arrive que l'on se laisse parfois embarquer par nos personnages, ils nous emmènent parfois là où on ne l'avait pas du tout prévu au départ. Surtout si on a choisi, comme je l'ai fait pour ce livre, une écriture à processus, c'est à dire sans plan défini à l'avance. Ce qui est très dangereux surtout pour la structure complexe que j'ai mis en place. C'est d'ailleurs ainsi que j'ai introduit une histoire d'amour, Herman devenait pour son auteur de plus en plus exigeant...

Enfin pour répondre à la première question donc qui intéresse apparemment beaucoup de lecteurs. Le choix du pseudonyme a été guidé par plusieurs raisons :
-L'anonymat étant la première raison du choix d'un pseudonyme, il ne se légitime ici que par le fait qu'il est intimement lié à l'intrigue même, il faut lire le livre pour le comprendre,
-ensuite, parce que j'avais déjà publié sous ce pseudonyme, au Seuil, dans Actes de Recherches en Sciences sociales (revue du Cairn) et que je pensais ainsi m'inscrire dans la durée sous ce nom.

Ce choix de l'anonymat n'a pas pu être tenu pour les raisons que j'ai du assumer seule la promotion de mon livre et ça devenait caduque par là même.
Ayant repris mes droits chez Kirographaires, ce roman cherche bien évidemment un nouvel éditeur...
Le lecteur malicieux y verra ainsi un dernier retournement à cette histoire incroyable, puisque finalement il y sera question de la « mort » de Marie Delhestre (nom d'auteur fictif) et que dès à présent et pour les deux publications à paraître cette année (un roman jeunesse et un récit poétique ayant trouvé tous deux un éditeur) je vous annonce que je reprendrais mon véritable nom, celui sous lequel les lecteurs de ma poésie entre autres m'ont connue.


En attendant, et pour ceux qui n'auront pas eu l'occasion de lire Jeu de dupes et seraient intéressés, il reste quelques exemplaires que je tiens à leur disposition (me contacter en mp).

Dans ce monde régi par des puissants.... l’Éditeur aura-t-il le dernier mot, aura-t-il la toute puissance de faire revivre tout ce petit monde ?
L'avenir nous le dira !

Marie-Josée DESVIGNES